Dans la première moitié du XXᵉ siècle, l’éducation bourgeoise des petites filles françaises leur permettait de recevoir un enseignement artistique. Mais une fois devenues femme, cela paraissait inconvenant de le mettre à profit, alors en vivre, vous n’y pensez pas !
C’est pourquoi peu d’œuvres de compositrices de cette époque sont parvenues jusqu’à nous. Dans cet article nous allons tenter de mettre en lumière l’une d’entre elles…
Qui était Germaine Tailleferre ?
Née Marcelle Taillefesse le 19 avril 1892 à Saint Maur les Fossés et morte le 7 novembre 1983 à Paris.
Un esprit libre sûrement ! Mais également une enfant déterminée et une musicienne hors-pair. Issue d’une famille bourgeoise, sa mère lui apprend le piano dès l’âge de deux ans. Vers cinq ans, elle compose ses premières œuvres.
Malgré un talent avéré et des dons évidents, son père s’oppose à ce qu’elle intègre le conservatoire, ce qui revient, selon ses propres termes, « … au même que faire le trottoir Saint-Michel ». Grâce à un ami peintre qui convainc sa mère de passer outre l’interdiction, Germaine rentre au conservatoire de Paris en classe de piano.
Après un premier prix en solfège, elle y recevra par la suite un premier prix d’harmonie, un premier prix de contrepoint ainsi qu’un premier prix d’accompagnement (qu’avait également reçu un certain Claude Debussy).
Ce prix d’accompagnement révèle qu’en plus d’être une immense musicienne, Germaine Tailleferre excellait à déchiffrer une partition de piano aussi bien qu’une partition d’orchestre, et qu’elle pouvait improviser un accompagnement pour un chant sans aucune indication harmonique. Enfin, elle était capable de transposer sans aucune hésitation.
Forte de ces techniques et connaissances acquises au conservatoire, il lui manque cependant quelque chose, qu’elle va découvrir lors d’une rencontre… ou plutôt de plusieurs.
Le groupe des six
À la sortie du conservatoire, vers l’année 1916, dans le Paris bouillonnant de créativité artistique, au milieu des peintres et des poètes, un groupe de jeunes musiciens va se constituer à l’initiative d’un certain…Jean Cocteau.
Darius Milhaud, que Germaine a connu au conservatoire, Arthur Honegger, Francis Poulenc, François Auric et Louis Durey formeront le groupe des six en référence au groupe des cinq (Borodine, Cui, Balakirev,Moussorgski et Rimski-Korsakov). Le fruit le plus remarquable de cette période est le ballet. “Les mariés de la tour Eiffel”, sur un livret de J.Cocteau, qui sera joué au théâtre des Champs Elysées en 1921.
Ils jouent dans des ateliers de peintres comme Modigliani et Picasso, notamment « les jeux de plein air » composés par Germaine pour deux pianos et qui seront salués par Erik Satie lui-même ! Ces collaborations artistiques et la reconnaissance de ces musiciens confirmés vont conforter Germaine dans sa vocation et bien qu’elle n’en ait jamais douté, l’assurer de son choix pour la musique et lui permettre de s’affirmer en tant que compositrice.
Sa carrière, ses oeuvres
Germaine Tailleferre va vivre jusqu’à 91 ans et sera une compositrice prolifique. Bien que toutes ses œuvres n’aient pu être jouées ou produites, elle ne cessera jamais de composer : ballets, comédies musicales, musiques de film, musique de chambre, etc.Beaucoup de ses livrets et partitions ont été perdus, hélas.
Jean Cocteau disait d’elle qu’elle était “la Marie Laurencin des oreilles”. Elle-même, modeste, qualifiait sa musique de “légère”. Nous vous laissons en juger, si vous voulez bien prendre le temps d’une écoute : https://youtu.be/7mkkJSNbl8k et peut-être d’une deuxième https://youtu.be/LKGNF3G7FZ8.
Bien qu’ayant été mariée deux fois, avec des hommes qui ne voyaient pas d’un bon œil son métier de compositrice, elle sera obligée de donner des cours tout au long de sa vie, notamment à la Schola Cantorum et à l’école alsacienne en tant qu’accompagnatrice. Elle écrit une de ses dernières œuvres à l’âge de 89 ans, une commande pour le ministère de la Culture, le Concerto de la Fidélité.
Les femmes compositrices
Clémence de Grandval, Lili Boulanger, Mel Bonis ou encore Ethel Smyth et bien d’autres, sont autant de compositrices émérites dont vous ne verrez pas les noms écrits aux portes des salles de conservatoire. Avez-vous déjà même entendu une de leurs œuvres ?
Une femme cependant, Héloise Luzzati, s’est donné pour mission de remettre ses compositrices à la place qui leur revient et de faire connaitre leurs créations en les jouant et en les diffusant. H.Luzzati a même créé à cette fin un festival : “Un temps pour elles” au Château Rosa Bonheur à Thomery ( 77 ).
Saluons cette délicate initiative, en espérant comme le dit si bien Héloïse qu’un jour viendra où il sera obsolète de remettre des compositrices comme Germaine Tailleferre à l’honneur.
Alexandra Morin